« En 1817, pendant
un voyage d’Hokusai à Nagoya, le peintre recevait la commande de nombreuses
illustrations de livres, et comme ses élèves vantaient l’exactitude de la
représentation des êtres et des choses dans les dessins du maître, dessins d’un
format relativement très petit, les adversaires de la peinture vulgaire
déclaraient que les petites choses que produisait le pinceau d’Hokusai, étaient
du métier, n’appartenaient pas à l’art.Propos qui blessaient Hokusai, et qui
lui faisaient dire, que si le talent du peintre consistait dans la grande
dimension et les grosses touches d’une œuvre, il était prêt à étonner ses
adversaires. Et c’est alors que son élève Bokusen et ses amis lui vinrent en
aide, pour exécuter en public une formidable peinture – un Daruma d’une bien
autre proportion, que celui-déjà peint en 1804. Ce fut le cinquième jour du
dixième mois de l’année, que cette peinture eut lieu devant le temple de
Nishighakejo, et la biographie japonaise d’Hokusai en donne la relation
illustrée, d’après un récit avec dessins de Yenko-An, un ami du peintre.
Au milieu de la cour
nord du temple, défendue par une palissade, avait été développé un papier fait
exprès, et ayant plusieurs fois l’épaisseur du papier servant à couvrir les
manteaux au Japon. Et ce morceau de papier sur lequel Hokusai devait peindre,
avait la superficie de 120 nattes. Or la natte japonaise mesure 90cm de largeur
sur 180 de hauteur, ce qui faisait à l’artiste un champ de peinture de 194
mètres. Et pour que le papier pût rester tendu, il avait été fait dessous un
lit de paille de riz d’une grande épaisseur, et, de distance en distance, des
morceaux de bois servant de presse, empêchaient le vent de soulever le papier.
Un échafaudage avait été monté contre la salle du conseil, et faisant face au
public, échafaudage, au haut duquel étaient attachées des poulies, attachées à
des cordes, pour soulever l’immense dessin, dont la tête était fixée à un
madrier de bois gigantesque. Des pinceaux de grande dimension se voyaient tout
prêts, des pinceaux dont le plus petit était de la grosseur d’un balai, et
l’encre de chine était préparée dans des cubes énormes, et transvasée dans un
tonneau. Ces préparatifs occupaient toute la matinée, où dès les premières
lueurs du jour, se pressaient dans la cour du temple pour voir exécuter le
dessin, une foule de nobles, de manants, de femmes de toutes sortes, de
vieillards, d’enfants.
Dans l’après-midi,
Hokusai et ses élèves, dans une tenue demi-cérémonieuse, les jambes et les bras
nus, se mettaient à l’œuvre, les élèves puisant de l’encre dans le tonneau, et
la mettant dans un bassin de bronze, avec lequel ils accompagnaient là où il
allait, le peintre peignant. Tout d’abord Hokusai prit un pinceau de la
grosseur d’une botte de foin, et après l’avoir trempé dans l’encre, dessina le
nez, puis l’œil droit, puis l’œil gauche du
Daruma : alors il fit plusieurs enjambées, et dessina la bouche et
l’oreille. Après il courut tracer la configuration du crâne. Cela fait, il
exécuta les cheveux et la barbe, prenant pour les dégrader, un autre pinceau
fait de filaments de coco, et qu’il trempa dans une encre de Chine plus claire.
A ce moment, ses élèves apportèrent sur un immense plateau, un pinceau fait de
sacs de riz, tout imbibé d’encre. A ce pinceau était attachée une corde, et le
pinceau posé à l’endroit que Hokusai indiqua, il attacha la corde à son cou, et
on le vit traîner le pinceau attaché à la corde, le traîner à petits pas, et
faire ainsi les gros traits de la robe du Daruma.
Quand les traits furent
achevés, et qu’il fallut mettre le rouge à la robe, les élèves prirent dans des
seaux, la couleur, la jetèrent avec des pelles, tandis que quelques-uns
pompaient avec des linges mouillés les endroits, là où il y avait trop de
couleur.
Ce ne fut qu’à la
tombée de la nuit que l’exécution complète de Daruma fut terminée, et qu’on put
soulever au moyen de poulies, la grande machine peinte, et il y eut encore une
grande partie du papier traînant au milieu de la foule, qui, selon l’expression
japonaise, semblait une armée de fourmis autour d’un morceau de gâteau. Et ce
ne fut que le lendemain, qu’on put surélever l’échafaudage, et accrocher
seulement en l’air la peinture.
Cette séance fit
éclater le nom de Hokusai, comme un coup de tonnerre, et pendant quelque temps,
dans toute la ville, on ne vit dessiné sur les chassis, sur les paravents, sur
les murs, et même sur le sable par des enfants, rien que des Daruma rien que
l’image de ce saint, qui s’était imposé la privation de sommeil, et dont la
légende raconte, qu’indigné de s’être endormi une nuit, il se coupa les
paupières, les jeta loin de lui, comme de misérables pécheresses, et que par
suite d’un miracle, ces paupières prirent racine où elles étaient tombées, et
qu’un arbrisseau, qui est le thé, pourra donner la boisson parfumée qui chasse
le sommeil. »
E. De Goncourt,
Hokusai.