mercredi 22 juin 2016

Atelier écriture 2016, F Bon



Proposition 9
Maisons inconnues



Elle est à une intersection de rue, au milieu d'immeubles construits dans les années soixante. La maison a brûlé. Des bouts de charpente se dressent au sommet des murs. Le soir, en rentrant, il passe par le vieux quartier. Il a son podomètre. Il aime la mesure. Il aime la précision. C'est un raccourci qui lui économise tous les soirs, cinq cents mètres de marche. Parfois, il lève la tête. Tout en marchant. Il voit une lumière, ce soir là, au premier étage. Dans une chambre peut-être. Qui est-ce donc à cette heure tardive ? Sans doute s'est-il dit, n'est-ce que le reflet du lampadaire de la rue. Les ronces ont envahi le jardin. Certaines sont parties à l'assaut des étages. Elles font danser les ombres le long des murs. Il écoute. On dirait des bruits. Les échos de la ville sans doute. Voix d'un soir qui s'affaire après le travail. Il ne les comprend pas. On dirait un bain de langues pourtant familières. Il revient sur ses pas. Il a fermé les yeux. Ouvert les oreilles. Il ne sait. Le temps s'est arrêté. Il se voit rentrer dans la maison. Monter à l'étage. L'escalier a brûlé. Il s'est appuyé sur la rambarde. Certaines marches tiennent encore. Il s'est arrêté devant la chambre. A poussé doucement la porte. La pièce est remplie d'une foule bruissante. Tous discutent et paraissent heureux. Ils portent des habits sans âge. Ils rient, ils échangent des cadeaux et nul ne le voit. Une lumière illumine la pièce. Est-ce celle qu'il a vue du dehors ? Une voix surgit. Ton père est là ! Ne le vois-tu pas ? Il sursaute et s'exclame. Mais père est décédé il y a des années, ce n'est pas possible ! Il se frotte les yeux. La silhouette parait lointaine. Est-ce bien lui ? Et voilà qu'il reconnait sa tante et sa mère. Elles se parlent. Les voilà réunies. Elles lèvent les yeux. Elles le scrutent. Il perçoit leur inquiétude. Vas-tu bien ? As-tu du travail ? Où vis-tu maintenant ? Les mots envahissent la pièce. Rebondissent d'une ombre à l'autre. Ricochets dialogues. Echos sonores. Mémoires des murs.
Soudain, le feu est dans la maison. Projetant une lumière sans ombres. Ne crains pas le manque ! A-t-il entendu. Mais qui donc a parlé ? Dans ce feu de flammes et de braises qui engloutit tout ce qu'il rencontre. Une voix arrive. Que dit-elle ? La nuit tombe. Ne crains pas d'être aveugle. Tu oublieras. Ces mille et une choses qui font ton aujourd'hui. Et tout s'effacera. Tu verras. Ah tu verras... C'est une ritournelle. Et elle monte et monte et monte vers le firmament. Il la suit et renverse la tête. Son regard accompagne les lignes calcinées de la charpente. Elles s'effacent doucement. Car le ciel s'est fait encre. Ce soir encore.
Il ouvre les yeux. Les écarquille. Il fait si noir soudain. Voilà que la pièce bouge comme un être vivant. Elle l'entoure. Elle le retient. Il ne trouve plus l'escalier. Les murs se déforment. Et fuient sous ses mains. Une masse visqueuse les recouvre. C'est un monde sous-marin. Qui déploie ses rocailles. Où se balancent algues et anémones. Il y résonne des sons anciens. Etrangement tout rentre dans l'ordre. Les êtres disparus, la distorsion des murs, les langues familières. Rien ne lui est étranger. Il ne sait pourtant leur devenir. Il se prête seulement à leur advenue. Et ne sait ce qui prend ainsi vie sous ses yeux. Que vois-tu ? Souvenirs, devenirs, restes, fragments, fractales, potentiels déploiements. Pans entiers d'un monde en marche. C'est un temps en son rouleau compresseur.
Mais le voilà dans la rue. Il jette un œil à son podomètre. Il n'a pas bougé du trottoir. La maison le regarde. Une longue conversation a déjà commencé.


Proposition 7 et 8
la voix


C'était un nuage floconneux. Dans un café à l'intérieur de l'hôpital. Il était assis. Avait fermé les yeux. Des voix arrivèrent, tout autour de lui, résonnant au seuil de la conscience. Il n'entendait que leurs intonations. Elles étaient joie, tristesse, colère. Moments de vérité impossible à marchander. Il entendait leur respiration, ténue comme un souffle. Imperceptibles voix. Elles s'écoulaient dans leur corne de brume. Longs échos signalant le danger inattendu. C'était le premier soir. Il était noir. Nuages dans le ciel. Encore.
Elle était allongée sur son lit. C'était un pancréas pris précocement. Un ami lui avait dit :
-Il est pris tôt, découvert par hasard..
-...
-Ne t'en fais pas, il est logé dans la queue et non dans la tête du pancréas
-...
-J'en ai vu comme ça, tranquilles des années après...
-...
 Elle n'avait rien dit. Elle ne l'écoutait plus. Elle n'avait pas saisi la suite de la phrase. Avait-elle une fin ? Il y avait-il même tôt dans la phrase? Il y avait-il tôt seulement ? Il ne lui restait au creux de l'oreille qu'une nacre de tristesse. Retenue, tellement retenue, comme la voix de son ami. Le ton, seul le ton s'était accroché à la conque de son oreille. Attentif. Elle y avait amené la main. Le recueillant dans sa paume. Elle ne voulait même plus le soupeser. Ce ton indescriptible. Elle leva alors la main, écarta les doigts. Il s'effrita sous le soleil. S'envola. Léger. Comme des éclats de lumière. Ténu. Dans les courbes de son  pavillon. Eclaboussant à peine la surface du tympan.
Mais tout cela était tout simplement impossible. Elle était encore en salle de réveil. Deux chirurgiens l'avaient opérée. Pendant trois heures. Deux fois trois, mis bout à bout, cela faisait six heures. Mais est-ce vraiment comme cela que se  compte le temps ? Il était assis en bas, à l'ombre du parasol. " Cela pourrait être le café de la plage" lui avait dit une autre voix, intérieure, souriante.
" Coucou chéri".  Impossible, elle était encore en salle de réveil. Pas encore descendue dans le service. Il avait pourtant entendu sa voix résonner à côté de lui. Il imagina le jour où elle sera absente. Avec dans les doigts, son " coucou chéri" résonnant dans la coque rose fluo de son portable. Le ton enjoué, où jamais n'hésitaient les mots. Absence, présence, présence absence pulsations en lui.  Si souvent, il l'avait entendue tout près de lui, avec ses questions et puis ses remarques et puis ses acrimonies.
-As-tu sorti les poubelles ? Ah là là, c'est le jour demain ! il faut le faire le soir, tu sais bien moi je ne peux pas quand même tout faire !
-...
-Oh t'as vu la fin de Tristes Tropiques, il parle de son chat....
-...
C'était le quotidien. Il savait tout ça par coeur. Il ne lui parlait pas beaucoup. l'écoutait plutôt. C'était les rôles qu'ils s'étaient attribués. Puis tout s'embrouilla. Il y avait un bruit confus. D'où venaient donc ces voix ? Elles étaient telles des vagues qui arrivaient. Echos, bandes sonores qui venaient s'échouer sur le sable du rivage. Elles déroulaient, chacune, leur courtoisie codifiée. Elles affirmaient leur prêt-à-porter de la pensée. Discouraient sur leurs certitudes.
-Je suis au deuxième étage et vous ? dit l'un avec sa potence et sa perfusion à bout de bras.
- Moi aussi, je ne vous avais pas encore croisé !
-Il n' y a pour l'été que des chambres individuelles, je ne sais pas pourquoi..
-Mais comme il n'y a que ça, on n'a pas à payer de supplément, ..
-Avec tout ce qu'on paye déjà, hein ! Faut pas exagérer !
-Heureusement, parce que je ne supporte pas qu'on ronfle à côté de moi !
- Si ce n'est que ça ... Après l'intervention, moi, je suis complètement assommé...
- Vous avez de la chance, moi c'est la douleur qui me réveille la nuit, impossible de savoir si ce sont les cicatrices de laparotomie ou si ce sont les spasmes intérieurs...
- Faut appeler les infirmiers...
- Il n'y a personne...
- Il n'y a pas assez de monde, hein, c'est sûr...
-Avec tous les impôts qu'on paye !
Il était assis là, les yeux fermés. Il entendait toutes ces banalités qui faisaient écran à ce qu'ils redoutaient tous si fort, ce monde en eux, au destin immaitrisable. Il était ce territoire enfoui qu'ils ne pouvaient atteindre. Les phrases s'étaient perdues en route. Et ne savaient plus ce qu'elles disaient. Ne restaient que des tons avec des questions en suspens. Des voix parfois à bout de souffle qui vinrent résonner de cet exil intérieur, ressac redondant à l'oreille, eaux lourdes, souvenirs, restes diurnes, tous bouillonnant dans les canaux encombrés de la mémoire. Il faudra nettoyer toute cette tuyauterie à la cigüe, s'était-il dit. Pourquoi cigüe ? Et soudain comme dans un déraillement progressif, des voix se sont levées. Il crut entendre chuchoter, ce mot lourd, indescriptible : peine. Et puis comme un souffle, arriva un second : mort. Fallait-il accorder les deux, et entendre : peine de mort ? Comme un brouhaha, des voix d'hommes et de femmes ont retenti. Elles venaient d'un passé de l'oubli, d'autres d'un futur antérieur pas encore advenu. Des proches, des amis, des connaissances même, tous venus là devant lui, devisaient assis sur les pierres le long du chemin. Ils palabraient, ils racontaient, certains devisaient, disputaient ou dialectisaient. C'était une immense cours de récréation. Les conversations étaient sérieuses. Mais elles avaient le ton de l'enfance. Avec la fraîcheur de la pensée en son essor du matin. Naissances sans fin de la vie. Cycles des mots du langage. Malléable matière. Le temps entrait en son éternité. C'était dans l'Hadès ou quelque part ailleurs, peu importe. C'était en ce lieu aux noms multiples, si vaste qu'il accueillait tous les gens qui avaient existé et qui existeront encore... Ils parlaient. De choses inconnues mais évidentes. Babils compréhensibles de tous. Ne résonnaient que leurs voix, graves, aigues, sombres, lumineuses, mais toutes si bien différenciées. Ils étaient voix d'abord. Singulières présences bien palpables. Ils disaient le vrai et le faux, le sonore et le silencieux, le semblant et le dissemblant, comme le dissonant et le concordant. Que disaient donc ces voix ? Alors qu'il se posait la question, une voix de femme résonna dans son portable coque rose fluo :
-Coucou chéri, c'est quoi colorature quand on parle de soprano ?
Il s'est revu si bête, en train de pontifier. Expliquant le code et l'au-delà du code.
-Eh bien, reprenons par le début, la tessiture c'est l'ensemble de notes, graves ou aigues qu'une voix peut émettre... soprano, supra c'est au dessus, une soprano colorature est capable de ces morceaux de bravoure...
-Bon, bon...
Et elle de rire, de ce rire clair et coloré. Ne retenant de colorature que son rouge chaleur, ample et fluctuant comme une soie de Venise. Cela lui entourait le cou et elle en extirpait cette jouissance inextinguible, en une voix aux cimes jamais atteintes, résonnant de ses harmoniques graves, contrastées qui en faisait oublier la hauteur brillante. Virtuose.
Il pensa soudain qu'il était bien déplacé, de penser à cela, assis à attendre, tout en bas, dans un café de la plage qui n'existe pas, le réveil d'un " coucou chéri" qui n'arrive toujours pas. C'était un nuage floconneux, flottant, blanc, brillant. C'était la sonnerie d'un téléphone.  Il vit un couple au loin. Ils se parlaient. Il y a peut-être longtemps déjà. Ils étaient lui, elle, eux. Il s'était toujours demandé à quel niveau, elle lui répondait. Ses phrases se superposaient. Ses voix multiples étaient strates. Dépliant un éventail de coques enchevêtrées. Elles étaient papiers cadeaux, phosphorescents, brillants, noëls décalés. Elles semblaient empaqueter une vérité qui les dépassait. Il suffisait qu'un de ces papiers se déchire pour que sa voix si étrange à ce moment-là, ne lui fasse découvrir cette volonté sourde, ignorée d'elle-même mais pourtant si déterminée. Qui venait déchirer le visage de ce qu'ils croyaient être désir.
La radio au fond de la pièce, résonna d'airs de soprano colorature. Etait-ce Mozart, était-ce Verdi... Peu importe, il aurait voulu Venise seulement et ses théâtres et ses canaux. Il se laissa emporter. Une autre voix monta de l'eau. Dans les reflets soudain, il vit la main crispée d'une morte en surgir. C'était la main de sa mère tenant une partition. Tendue dans l'effort. C'était lors de l'un de ses cours de chant. Dans un moulin qui enjambait la rivière. Allongée sur  l'estrade, elle montrait les exercices de respiration. Elles les exagérait afin qu'ils soient vus de loin par tous ses élèves. Son diaphragme se distendait. Son corps enflait, comme une immense caisse de résonnance. Puis elle se mit à chanter, chanter sans fin, avec une force qu'il ne lui connaissait pas, elle pourtant disparue depuis si longtemps. La voix était mélancolique. De cette attente inassouvie de la vie. Son timbre familier le berçait, enfant. Il n'aurait su en décomposer la perception quasi physique qu'il en avait. Elle avait ce grain particulier. Il le saisissait à certains moments. Car elle avait ce pouvoir pour en accentuer la douceur, lorsqu'il se couchait le soir et qu'il réclamait sa berceuse, elle laissait apparaître alors ce qu'elle ne laissait nulle part apparaitre. Sa voix laissait passer un léger souffle d'air, comme si les cordes vocales ne s'étaient pas totalement rejointes. Et dans cette distension discrète, de celle qui s'entend dans certaines langues dans leurs h aspirés, il entendait le battement du coeur de sa mère, la striction de son souffle, au plus près, appuyé contre sa poitrine, au creux de ses bras. Elle se détendait et il entendait les moindres tressaillements de ses muscles. Ils devenaient chacun vibrato. Elle chantait encore et encore. Il entendait les fluctuations de ses vocalises et puis enfin cet air qu'elle aimait tant, son nouvel an à elle, chaque fois, renouvelé lorsqu'il arrivait fluide comme jamais, glissant hors de sa gorge comme un torrent colorature. Et dans la pénombre du soir, il vit le visage de sa mère se superposer à celui de sa femme. Mais qui sont-elles, et surtout qui est-elle donc, celle qui arriva ainsi à son oreille et qui réunissait les voix de sa mère et de sa femme à la fois ?... Et dans cette douceur chatoyante, il entendit soudain sa fin de monde. Car avait surgi cette autre voix suraigüe, hallucinée. Elle mimait les voix intérieures qui la tenaillaient au soir de sa vie quand les morphiniques ne faisaient plus d'effets. Il ouvrit alors les yeux comme pour secouer les souvenirs déposés en lui. Ecailles dures, couvercles de pierre posés sur ses paupières.
-Coucou chérie.
C'est ce qu'il aurait aimé lui dire. De cette voix grave qu'attend une femme quand elle cherche épaule pour s'appuyer.
-Coucou chérie, comment vas-tu ? Tu n'as pas trop mal ? Es-tu bien réveillée ?
Il lui aurait pris la main. Il l'aurait caressée. Il est retenu. Même après toutes ces années. Il aurait voulu prendre cette voix impossible qu'il pensait qu'elle lui aurait demandé car sa voix grave s'était altérée. Etait-ce l'émotion, était-ce l'âge ou encore l'incertitude du temps qui imprégnait ainsi ses cordes vocales ?  Car sa voix se faisait parfois enfant. Soutenant une demande inattendue qu'il n'arrivait pas à voiler. Il a essayé alors de retenir les bulles sonores qui l'entouraient. Une à une. Comme dans un filet à papillons. Et son oreille serait devenue cette immense nasse où se serait pris le tourbillon du monde. Il aurait parlé la voix du monde. Il l'aurait écoutée. Il aurait pris le temps. Il aurait fait attention à toutes ces sphères sonores. Elles étaient frissons d'eau claire. Ronronnements sombres. Et comme dans un cristal, elles auraient délivré chacune, note par note, une gamme qu'il faisait résonner en lui. Tessitures si humaines. Elles étaient flocons, bulles, savons de l'enfance, multicolores, soyeuses comme une nuit d'été déployant ses ourses célestes.
Il aurait pris alors cette voix grave, même pas peur ni pleurs. Et dans son jardin terreau, aux nénuphars ornementaux, il savait avoir rencontré en son sable de la vie, cette autre voix. Si forte, si colorature, si troublante. A en fissurer les barricades. Il était pourtant encore dans ce café de la plage qui n'existe nulle part. Attente. Salle de réveil. On était à J zéro. Quelques heures après l'intervention.

Proposition 8 sur dialogues
Elle est branchée de partout. On lui a posé un site. C'est plus facile. Il faut préserver la voie d'abord. Il écoute. Il observe. Ce site, au nom décalé. Il cherche à l'intégrer mot après mot. Et voilà que les mots se déforment, en allant vers lui. Ils transforment le destin de ce qu'ils désignent. Il les voit s'allonger, se multiplier tels des insectes autour d'une chair béante. Peut-être même des fleurs s'y sont épanouies. Ah tu aurais préféré ? Il a ri.
Elle est calme. Elle dort. Il n'ose parler trop fort. Il n'y a personne d'autre dans la chambre. A qui donc parler si ce n'est aux ombres qu'ils ont été durant leur vie. Ah, je ne te connaissais pas en cette robe. Pourquoi donc cette moue ? Des pans entiers de leur histoire arrivent. Presque inconnus. Sursauts. Souvenirs. Un livre s'ouvre. C'est Ulysse revenant à Ithaque. Trouvant Pénélope vieillie. Il pense à la jeune femme qu'elle a été. Il n'a pas vu passer le temps.  Que fais-tu là ? Je brode. Et toi ? Je marche. Il ne s'est pas vu vieillir non plus. Je voulais écrire. Mais les mots sont arrivés, étranges, dans leurs vêtements d'un autre temps. Je les ai vus tellement surannés... Lesquels ? Oh, tromperie, jalousie, déception, illusion, destin, travail, carrière, espérance, besoin, argent. Et tant d'autres encore. Ils m'ont fait rire. Et puis bêtise est venue. Et aussi chemin. Ce chemin au bout duquel tous les mots deviennent sépia. Lesquels ? Ces mots auxquels nous croyions tous de si bon coeur...
Ses yeux bougent sous ses paupières. Globes ronds, météores en partance. Et voilà qu'ils dansent comme les chats qui courent dans leurs songes. Joues-tu ? Rêves-tu ? Tu danses sûrement, tu chantes déjà. Ses yeux bougent et semblent répondre à ses pressions de la main. Il aurait tant aimé qu'elle dise. Dire. Seulement dire. N'importe quoi. Dans cette respiration simple sans ce masque qui encombre le visage. Ils seraient au café de la plage. Elle serait assise devant lui. Ils auraient parlé. Avec des mots de tous les jours. Venus de cet été éternel. Où ils regarderaient la mer, ils s'ennuieraient et respireraient l'air du grand large. Et il y avait toutes ces voix autour de lui. Avec ces phrases bêtises, ces phrases broutilles, ces phrases naïves. Se noyant dans l'air du temps. C'était hier au café de la plage. Personne n'avait de masques. Ils parlaient seulement. Récriminations sans fin, antepiluletièmes. Venues de bouches sombres, anonymes, aux visages effacés. Il avait peut-être tout inventé. Ces phrases sans sons qui s'étiraient seulement dans sa tête. Inaudibles. Dialogues de sourds. Ils respiraient tous sans artifices, avec leurs potences à bout de bras. Il les envie. Avec rage, colère, application. Réclamant une justice qui n'existe pas. Pour ceux qui méritent de respirer et ceux qui n'auraient même pas le droit de vivre. Elle a ouvert la bouche pour attraper l'air ambiant. Comme une carpe gobant sa mouche. Crois-tu qu'il y a des paroles qui engagent un dire ? Penses-tu que des paroles peuvent engager un dialogue ? Un quoi ? Un vrai...dialogue.
Peut- être que tous ces mots ne font partie que de ces mots bizarres, croyances jeunesse. Mais au soir de la vie. Est arrivée une autre résonnance. Dans ces mots polis par le temps. Erodés par l'usure. Evidés.
Parle donc... Ecoute...                                                                                                       
Elle aurait chuchoté. Elle aurait articulé des mots minuscules. Pianissimo. Dans un souffle ténu, mais tellement tenu comme elle sait si bien le faire. Et puis elle a envoyé son masque au loin. Et elle s'est exclamée. Pas besoin ! Il a acquiescé. L'infirmier est rentré. Il a vérifié la perfusion. Il a tourné comme un poisson rouge dans son bocal. Puis est ressorti sans un mot, respirant le plus normalement du monde. Il ne s'est pas excusé. Il est rentré. Mais avez-vous frappé ? Pour elle qui était inconsciente, il a sans doute jugé que ce n'était pas utile. N'auriez-vous pu tout de même ? Je suis là, assis au bord du lit, depuis si longtemps. J'aurais pu me gratter une partie indiscrète du corps. Rester là des heures durant, c'est quand même long de solitude. Frapper à la porte aurait été un minimum. On devrait vous apprendre ça dès les premiers stages. Les globes de ses yeux n'ont pas bronché. Elle aurait acquiescé.
Dors-tu ? Chantes-tu dans ton sommeil ? Il est de fausses hypnoses qui effacent les heures du jour et de la nuit. Tu aimes tant ces lallations velours. Voix de foules au loin. Imprégnées des énigmes de la vie. Etait-ce à lui que chantait la mère ? Ou était-ce à elle-même qu'elle racontait une fois encore son aube inquiète ? Incertitude de la fin. Angoisse de la nuit qui s'annonce. Confirmation. L'on dit que les mères du monde articulent toujours les mêmes phonèmes. Ce sont des berceuses qui sommeillent au fond de l'âme. En même temps que les enfants qu'elles endorment. Elles préparent le passage. Tout en inspirant la vie. Tension et douceur à la fois. Et au bord de l'abîme, à la pointe de l'expire, se sont levées des octaves inconnues. Il a palpé le rubis de leurs chairs. Soupesé la chaleur de leur timbre. Imaginé des gammes, aux rythmes heurtés. C'est un coeur qui bat dans la brousse de la vie. Et devant ses questions retenues, sont montées des réponses nocturnes. Evidences paisibles. Sans mots dire. Berceuses de vie et de mort. Il n'a retenu que leur ronde. Voiles rugueux. Sculptures drapées dures de sueur. Un râle est monté de sa gorge. Il a observé le masque. Une buée a recouvert la paroi. Elle respire. Doucement. Tu m'entends ? Peut-être est-il possible d'entendre les pensées.
Ecoute moi. A dit sa main serrant la sienne.
On est à J+1
Elle se réveillera bientôt.
 





 Proposition 6. Faux autoportrait, vraie fiction
Avec Edouard Levé
Elle lit le week-end. Elle cuisine aussi. Et congèle le tout pour la semaine. Elle habite la pointe de l'île.  Observe les biches depuis la fenêtre. Les lapins sont plus fuyants. Ils la regardent, tête de côté, toujours de loin. Elle est inscrite à des cours par correspondance. C'est une formation  pour quitter les lieux. Mais veut-elle vraiment partir ? Elle n'aime plus les draides depuis longtemps. Elle évite les regards dans les cafés. Le dimanche, elle ramasse des bois flottés. Elle les entasse derrière la maison. Au cas où. Elle n'aime pas les gens qui portent des chapeaux. Ils les oublient toujours quelque part. Ne les retrouvent pas. Et deviennent soupçonneux. Son compagnon a deux chapeaux. Un d'hiver et un d'été. L'ile a deux fermes, l'une au nord et l'autre au sud. Des choses inconnues du village s'y passent. Clandestines, dans les herbes folles quand le fleuve est à sec. Le smartphone ne capte pas. Son compagnon n'arrive pas à démarrer le canot à moteur. Le démarreur est à réviser. Il ne cesse de remettre à plus tard. Elle le lui dit. Le lui écrit même sur un post it sur le frigo. Pour qu'il puisse le lire. Tous les matins. Encore. L'hiver va venir. L'eau va monter. Plus possible de traverser à sec. Elle va à Paris, toutes les semaines. Elle n'aime pas le métro. Surtout la nuit. Elle aime les objets. Elle veut créer sa ligne avec ses prototypes. C'est un rêve caressé, le long du trottoir. Elle se cache et vit pauvrement. Elle lit parfois entre deux objets, des bribes de phrases. Cela lui reste dans la tête et mijote toute la journée. Elle a lu cette phrase, presque un slogan : l'amour est plus fort que la mort. Elle le dit à son compagnon tout en se demandant ce que peut être l'amour. Il n'écoute pas. Elle lui lit aussi la phrase suivante : et pourtant la mort est plus forte que tout.  Il n'écoute toujours pas. Elle aime les paradoxes. La vérité sans mode d'emploi. Elle voudrait être rigoureusement approximative. Pour dire au mieux les choses de la vie. Attraper la carpe de la vérité avec l'appât du mensonge. Elle avait lu aussi cela quelque part. Elle aime à le lui dire. En faisant sonner les images, elle sent dans sa bouche l'amorce des mots. Elle estropie la phrase. Il n'écoute toujours pas. Il connaît par coeur ses habitudes, ses mots inintelligibles,  bougonnés et mâchonnés. A quoi bon écouter ? Elle aime les bois flottés. C'est la seule chose sûre et certaine. Pourquoi ? lui demande-t-il. Elle ne sait pas. Ou elle ne sait pas répondre. Trop à dire, rien à dire ou impossible à dire. Son coeur balance. Les bois ne sont jamais tout à fait morts. Une matière sans âme n'est plus tout à fait matière. Elle le lui dit. Il n'écoute toujours pas. Elle pense à cette autre phrase : Un bon mariage serait celui d'une femme aveugle avec un homme sourd. Elle se dit qu'elle a peut-être sa chance. Le soir, elle n'aime pas les conversations à bâtons rompus. Elles sont funestes pour le quotidien. Elle aime causer aux choses. Mais celles-ci ne causent pas. Elle a monté une expo "Choses qui causent". Les affiches sont belles. Les couleurs éclatantes. Elles attirent le public. Et voilà que les choses se sont retournées. Tout contre les mots qui les exposent. Les choses ont produit des objets. Elles se sont faites pommes d'amour, boules de cristal, avenirs de lettres jaunies, vieilles dentelles et taxis anglais. Toutes échouées là, sur le sable du rivage. Sans mémoire. Le fleuve est à sec. C'est l'été.
Elle habite l'île. Elle cultive des légumes. Elle cuisine longtemps, surtout le week-end. Elle congèle le tout pour la semaine. Elle observe les biches depuis les fenêtres. Les lapins sont plus lointains. Elle est inscrite à des cours par correspondance. C'est une formation  pour partir des lieux. Mais veut-elle vraiment partir ? Elle n'aime plus les draides depuis longtemps. Elle évite les regards dans les cafés. Le dimanche, elle ramasse des bois flottés. Elle les entasse derrière la maison. Au cas où. Elle n'aime pas les gens qui portent des chapeaux. Ils les oublient toujours quelque part. Ne les retrouvent pas. Et deviennent soupçonneux. Son compagnon a deux chapeaux. Un d'hiver et un d'été. L'ile a deux fermes, l'une au nord et l'autre au sud. Des choses inconnues du village s'y passent. Clandestines, dans les herbes folles quand le fleuve est à sec. Le smartphone ne capte pas. Son compagnon n'arrive pas à démarrer le canot à moteur. Le démarreur est à réviser. Il ne cesse de remettre à plus tard. Elle le lui dit. Encore. L'hiver va venir. L'eau va monter. On ne pourra plus traverser à sec. Elle va à Paris, toutes les semaines. Elle n'aime pas le métro. Surtout la nuit. Elle aime les beaux objets. Elle veut créer une ligne nouvelle avec ses prototypes. C'est un rêve caressé, le long du trottoir. Elle se cache et vit pauvrement. Elle lit parfois entre deux objets. Elle a retenu un jour cette phrase anodine, presque un slogan : l'amour est plus fort que la mort. Elle le dit à son compagnon tout en se demandant ce que peut être l'amour. Il n'écoute même pas. Elle lit aussi la phrase suivante : et pourtant la mort est plus forte que tout.  Elle le lui dit aussi. Il n'écoute toujours pas. Elle aime les paradoxes. Et la vérité sans mode d'emploi. Elle voudrait être rigoureusement approximative. Pour dire au mieux les choses de la vie. Elle aime à le lui dire. Il n'écoute toujours pas. Il connaît par coeur ses habitudes. Ses bouts de mots inintelligibles,  bougonnés et mâchonnés. A quoi bon écouter ? Elle aime les bois flottés. C'est la seule chose sûre et certaine. Pourquoi ? lui demande-t-il. Elle ne sait pas. Ou elle ne sait pas répondre. Trop à dire, rien à dire ou impossible à dire. Son coeur balance. Les bois ne sont jamais tout à fait morts. Une matière sans âme n'est plus tout à fait matière. Elle le lui dit. Il n'écoute toujours pas. Elle pense à cette autre phrase : Un bon mariage serait celui d'une femme aveugle avec un homme sourd. Elle se dit qu'elle a peut-être sa chance. Le soir, elle n'aime pas les conversations à bâtons rompus. Elles sont funestes pour le quotidien. Elle aime causer aux choses. Mais celles-ci ne causent pas. Elle a monté une expo "Choses qui causent". Les affiches sont belles. Les couleurs éclatantes. Elles attirent le public. Et voilà que les choses se sont retournées. Tout contre les mots qui les exposent. Les choses ont produit des objets. Elles se sont faites pommes d'amour, boules de cristal, avenirs de lettres jaunies, vieilles dentelles et taxis anglais. Toutes échouées là, sur le sable du rivage. Sans mémoire. Le fleuve est à sec. C'est encore l'été.



5. Proposition 5.
Avec Rimbaud, Enfance 2, 3 "la route rouge"


Brique rouge

1
Des silhouettes blanches derrière la porte. Pantalons blancs, chemises amples. En deuil ou déjà âmes errantes ? La ruelle est pleine d'odeurs. De cette eau croupie de mousson. De cette eau frelatée qui ne connaît pas les égouts. Perpendiculaires à la ruelle, des passages minuscules entre les maisons. Des enfants y ont les fesses lavées à l'eau froide des bassines. C'est une épidémie au nom inconnu. Mais les rumeurs circulent déjà. L'eau est montée jusqu'aux genoux. Des civières vertes, grises sortent des maisons. On s'affaire dans la ruelle. Le temps n'est pas encore aux bonzes. Les services sanitaires vérifient les filtres à eau, les savons et les désinfectants. Les listes de consignes ont suivi. De main en main. Qui sait ce qu'elles portent ? L'odeur est tenace. Tout semble s'être arrêté à ces mouvements des corps, entrant et sortant des maisons. Peut-être auraient-ils aimé l'encens ou cette fraîcheur lointaine du matin des rizières. Ou seulement les flamboyants penchés à la fenêtre. Les carreaux de terre rouge résonnent du pas de leurs habitants. Dans la rondeur des choses innommables. Pulsent l'heure et l'ennui des déplacements des corps. Répétition insensée. Trois sons inconnus ont alors résonné à la radio : cô-lê-ra. Leitmotiv du jour, ils ont décliné les noms d'une réalité que le monde vomit. Et dans ces énigmes que les haut-parleurs déversent dans la rue, ont fleuri d'autres phrases : Cô/mademoiselle- Lê/Lê- ra/sort. Mais où donc est-elle partie ? s'est demandé l'enfant. Et dans le bruit des mots, rugueux, lâche syllabes, poignantes, s'étirant de leurs bouches tordues, des mélopées se sont levées de leur éternité mousson.
2
Dans la cuisine, il y a les briques rouges, terre cuite fraîche. Il y a l'horloge qui sonne big ben, et qui a perdu ses aiguilles. Il y a le lit en bois, très bas, où l'on repasse, où l'on découpe, où l'on bavarde. Il s'y raconte l'essentiel de la vie. Il y a la fenêtre et les oiseaux qui passent. Il y a le voisin. Et ses vocalises, opéras histoires de famille. Il y a la radio qui égrène ses dernières émissions. Il y a les nouvelles d'un monde qui parait si lointain. Il y a enfin, l'heure de la sieste et son bourdonnement incessant, bataille de grillons. Impossible de fermer les yeux. C'est pourtant l'heure de la sieste.
3
C'est un carreau comme il y en a dans le monde depuis la nuit des temps. Carré rouge de terre cuite. Comme une page d'enfant. Son domaine est celui où la craie blanche dessine. Des courbes, des volutes, des yeux, ou encore des poissons ou des fleurs. Le monde entier dans la main. Effacé à l'infini. Toujours recommencé. Naissant à nouveau. Avec ses volutes de craie qui dégage son odeur chaux, neutre calcite. Elle s'est envolée jusqu'au fond de la poitrine.
Page rouge de fantaisies inassouvies. Dérangée par les pieds qui piétinent. Elle est cet espace de liberté. Par-dessous la vie quotidienne. Qui oublie la mémoire des banalités.
 


4. Proposition 4.
100 mots avec Artaud, description d'un état physique, pas de je.

Cordes vocales tendues, sifflement strident, expire haleine. Souffle rugueux, fracas de râles, tempête poitrine. Sable dans les yeux, papier de verre, érafle rétine. Sable dans les dents, grincements sonores, étouffe alvéoles. S'asseoir seulement. Respirer un peu. Oh, la ruelle du marchand de sable ! Mais voilà encore ses soupes d'histoires. Délétères, amères et infestines. En son eau lourde, tornade boyaux, perlant du sablier du temps. Goutte à goutte. Spasmes, contractures et déchirures. Alors sont venues mot à mot, des questions en suspens, réclamant des réponses qui n'existent nulle part. Angoisses trépanantes, frissonnantes, efflorescentes, vénéneux nénuphars à la surface du jour.



3. Proposition 3.
Objets avec F Ponge

14 fois vers le même objet


Coquillage.
1
Mollusque marin dont le corps est enveloppé d'un squelette externe, le coquillage est à l'inverse de l'homme qui possède son squelette à l'intérieur de lui-même. Le coquillage est entendu aussi comme la coquille vidée de son mollusque. Gastéropodes pour les uns, bivalves pour les autres, certains coquillages sécrètent leurs propres coquilles. De coquillage en coquille, l'homme en perçoit d'abord la coque externe. Elle peut prendre une allure artistique que nul n'ignore, spécialement les dentelées si prisées que l'on appelle murex. D'autres dites céphalopodes le sécrètent parfois en os ou en plume, ainsi les seiches ou les calamars. Bien d'autres choses encore en sont écrites mais en une telle diversité que je ne saurais nullement la détailler.
2
 Le coquillage vit contre la paroi rocheuse ou enfoui dans le sable. Sa double résidence ne le fait pourtant pas échapper aux menaces de l'existence car le pêcheur à pied le guette à tout instant. Ce dernier ne se déplace que lors des grandes marées. Armé de son couteau, de son seau et de sa réglette, il mesure les spécimens qu'il prélève aux bords de mer.
3
L'homme entretient ainsi un rapport certain aux coquillages. Il se plaît à y retrouver les saveurs de la mer. Ail, persil ou saumure ne sont là que pour les exalter car le coquillage se déguste ainsi sur les bords de tous les océans du monde. Parfumé d'odeurs de l'enfance, c'est le parcours habituel du bivalve. Du sable où il se contracte encore vivant, à l'estomac du pêcheur, cadavre devenu, il est bouillie méritant alors véritablement son nom de mollusque. Peut-être est-ce pour cela même qu'on les nomme mollusques. Mais cela n'est écrit nulle part, mais il est sûr aussi que je n'ai pas tout lu.
4
Mais parfois échappant aux rafles maritimes, le coquillage parfois se déplace de façon insensible, forçant l'observateur à quelques minutes d'attention voire plus. Il faut alors se poser. Et attendre...
5
L'homme entretient avec le coquillage, un rapport de silence. D'ailleurs ne dit-on pas se fermer comme une huître ? C'est dire la tacite posture d'une vie souvent ignorée entre l'homme et le coquillage. De ce fond marin, l'homme garde ce creuset de mystère, exilé des mots et du sens qu'ils supportent. Etre de coquillage, féminité en germe, mollusque à coquille, quel est donc ton secret ? Penché sur lui comme sur un habitant de l'autre hémisphère, l'homme le sonde de ses pauvres questions. Car il veut en extirper la donne qui illuminerait sa vie. L'illuminé n'est-il pas en effet celui qui porte la lumière ? Mais pauvre pêcheur de coquillages, misérable promeneur des sables, aveuglé par le soleil, il ne se trouve qu'ébloui.
6
Dénudé de son corps de mollusque, réduit à sa seule coquille, coquillage en sa flottaison printemps, qui ne se souvient d'Aphrodite le surmontant ? Botticelli l'a immortalisé aux yeux du monde. Aphrodite fait corps à sa coque salée. Elle est céleste, terrestre mais aussi maritime et lacustre. Elle est " écume" du sperme d'Ouranos, le Ciel, dit la Théogonie. Et  dans cette poussière d'étoiles que sont Rhodes, Cythère, Chypre et Salamine, elle reste à jamais présente dans son dire d'amour. Aphrodite ou l'autre nom du coquillage. Aphrodite ou l'autre nom de femme, en son odyssée océanique. Coquillage, désormais conjugué au féminin. Si souvent. Etre à la perle rare. Voilà l'image qu'ont laissé les mythes à son égard.
7
Coquillage,  il s'est imposé à mon esprit. C'était au réveil. A ce point où s'émeut la lumière. Je ne sais pourquoi, gardant bien malgré moi, sa raison obscure. Mais une fois posé, coquillage toujours ici au masculin, dans la langue des bords de mer, il a vu venir les huîtres et les palourdes, toutes revenues, hermaphrodites devenues, le temps d'un été. Lovés dans sa rondeur blanche calcite, ils se sont endormis.
8
Repos.
Suspens.
9
Mais là où s'espéraient vacances et vide fomenteur de tous les possibles, s'est faite entendre cette phrase étrange : " Plus de liberté!" Car se sont déchaînées des vagues de mots, seulement à partir de l'évocation de ce seul nom : coquillage. Elles sont venus l'habiller de leurs congénères et de leurs prédateurs, de leur manière de faire, de parler et de cuisiner. Doux plaisirs de bouche. Elles sont venues le polir. Frottant les mots et leurs sons contre le roc des choses, elles ont mimé les vagues du large, érodant la pierre, la faisant galets puis sable de rivage. Coulures entre les doigts, fables, mots ou choses devenues.
10
J'ai voulu leur échapper en cassant l'écran de leur nacre. Traverser les frontières et croire qu'une autre langue en extirperait l'étrangeté. Je n'ai pas sondé de profondeurs occultes. J'ai seulement glissé à la surface des langues. Dans leurs mélodies inconnues, équations vibrations, lallations. J'ai fait résonner dans la courbure de mon crâne : Co-quille-age. Et voilà venu je ne sais d'où cet écho : ốc, ốc, dans sa rondeur picoreuse, toute en bouche qui s'ouvre et se referme, occlusive gonflée d'air avec son coup de glotte final qui élève le ton mélodique. Alors que résonnait le son et que m'apparaissaient ses éclats calcaire, fragments scintillants, hallucinés sous le soleil, insidieusement sont arrivées des onomatopées : lóc cóc. Elles sont venus tinter comme les gouttes d'eau d'un robinet mal réparé, réveillant la sieste de l'été : toc toc à la porte, le temps d'un souffle de mer. Tu croyais en traversant les langues trouver ta vérité. C'est la fable que tu t'étais racontée. Mais tu ne t'es trouvée bercée que dans la jouissance sonore qui a construit le monde lorsque tu y étais arrivée.
11
Derrière coquillage, mot surgi je ne sais d'où, ont retenti des sons pianotant sur l'orbe du langage. Et soudain dans la blancheur coquille, dans les nervures ciselées par le sel maritime, coquillage, voilà que tu n'as plus d'histoires à raconter. Tu es là seulement en tes éclats arc-en-ciel, acte de confiance, présence nacrée au monde.
12
C'était sous le soleil. Tu as tué hier. Tu as vécu seulement aujourd'hui, réduit à ce brouhaha qui résonne dans la rondeur de ma tempe. J'ai apposé alors ta conque sur les paupières, je l'ai glissée ensuite vers les oreilles fenêtres sur mer. Là où tu te reposes, se couche le soleil. C'était à l'occident d'un horizon éternel. Nulle mort n'y existe. Car il y résonne seulement l'éternité faite langage. Et à travers les langues devenues toutes inconnues, j'ai entendu tambouriner la pluie en ses onomatopées du monde. Babel tourbillons.  Ils ont résonné dans ta rondeur nacrée.
13
Coquillage.
14
Matin du monde à nouveau.





2.Autobiographie aux noms propres

Proposition 2


Essai 2 réécriture


Nhà Thương Grall, Sài Gòn, Việt Nam, Hôpital Grall, Maternité.  Phát Diệm 87, Quận 1, Sài Gòn. Mon adresse au district 1.  Après 1975, dire au taxi : 87, Trần Đình Xu, Quận 1, Sài Gòn.  Numéro de la maison inchangé, les maisons n'ont pas bougé. Pas de construction ni de démolition. Phát Diệm, nom d'un haut lieu du catholicisme vietnamien. Trần Đình Xu, nom d'un combattant de la libération. Đoàn Thị Điểm, poétesse du XVIII, magasins de couture sur mesure pour femmes, hommes et enfants.  Une école, nommée Cầu Kho. Comptines d'enfant entendues de la ruelle. Au bout de la rue, un cinéma, le Khaỉ Hoàng. Diffuseur de westerns et de films indiens mélos. Des cyclos devant. Une école nommée Colette, avec à côté sur la place, la statue du bonze immolé avec ses flammes de bronze. L'école Marie Curie, avec ses arbres sur la rue, tamarins, bougainvilliers blancs et rose fuschia. Vendeurs de glace pilée et de bánh cuốn chả lụa sur la rue. Cercle Sportif Saigonnais. Piscine, tennis, judo, ping pong, grande salle de danse. Des cyclos devant. Taxis portes ouvertes. Chaleur moite. Cinéma Rex et ses miroirs mis en abîme. Cầu Ông Lãnh, Phạm Ngũ Lão, des bars, des restaurants tout le long du trottoir et puis des conversations, des cris venus d'une voiture qui passe. Phở 79, la meilleure adresse de Phở Sài Gòn. Ils ont migré à Paris dans le XIIIème. Avenue d'Ivry ? Petit restaurant, portant le même nom. Même soupe chaude, odorante, parfumée, lanières de boeuf cru, aromates. Pas chère. Bon plan. Soupe plus chère à Sài Gòn proportionnellement au niveau de vie. Adresse devenue introuvable. Propriétaires décédés ? Un jardin public, Vường Bồ Rô. Déformation de la prononciation vietnamienne de Peugeot. Long Haĩ, Nha Trang, Plages de vacances. Des rochers en équilibre sur la plage. Nha Trang toujours. Yersin là pour l'éternité. La bibliothèque est à son nom. Đà Lạt montagne, fraîcheur, pluie et sensation de froid à 25 degrés le soir. Tout le monde sort son cache col, son bonnet de laine et son manteau. Tombeau de Nguyễn Hửu Hảo, marches en pierres rouges parmi les pins et sculptures dans la montagne. Chemin si long si haut et revenue cette fatigue d'enfant dans les jambes. Hồ Thang Thở, pause photos devant le lac. Ankroet et les mọi, les montagnards et puis les chevaux, photos encore....Cần Thơ, Mỹ Tho. Familles. Cimetières. Entretiens des pierres tombales. Photos émaillées. Visages souriants. Dates parcourant les guerres du XXème siècle. Repas votifs. Mékong encore, encore, encore, l'ont-ils asséché ? Nhà lá. Maison de feuilles. Grosses voitures luisantes devant. Familles toujours. Repas votifs encore. Invocation ciel, terre, ancêtres, âmes errantes, rats errants. Plus faim. Chợ Nổi, marché flottant, fruits du verger, mangues, pamplemousses, bananes, chôm chôm. Chợ  Lớn, pagode : chùa bà, et ses bâtonnets d'encens. Lire l'avenir mais seulement juste avant le départ. Rouges sont les bateaux peints au fronton de la pagode, ils traversent une mer de tempête aux vagues bleues et blanches, toutes en relief, du ciment peut-être. Tremblements de la main de ma mère dans laquelle était ma main. Cônes d'encens renversés. Poussière qui tombe. Toux safran. Les bonzes assis le long du mur lisent le destin. Devant le marché. Juste avant le départ.

 
 




1.Ecrire sa table de travail

Essai 1

Une table en bois.
Des livres. Des factures. Du courrier en retard.
Le souffle du chien arrivé à l'étage.
Des fenêtres sur les toits.
Dix ans écoulés.
Une tablette réglable.
La rue d'un côté, les arbres de l'autre.
Le fleuve, la blancheur des mouettes.
Un objet d'un ami, jour après jour.
Visage du matin.
Une rose juste éclose.
Boire un thé chaud.




Essai 2

Table devenue table réglable puis tablette, étagères devenues lit, livres de la semaine, chiffons pour nettoyer écran, stylos, lunettes, clés de la maison, derniers livres étalés, bribes du jour sur divan et encore divan, lit, canapé, fauteuil, dos douloureux, coussin et puis cou et puis mains et puis poignets, thé, café selon heure du jour, gymnastique du matin cette écriture , horloge, tic tac bruyant, vide absent, vide présent, fenêtres sur mondes, ciel bleu de fond d'écran, ciel nuageux aujourd'hui,  habitudes plurielles, quotidiennes, et si dehors venait dedans et dedans allait dehors, encombrement, vide de la page blanche, enregistrer ou pas, nettoyer son ordi, changer position de la chaise puis de la tablette, douche de mots, déstructuration de phrases, palettes, gammes, couleurs, mots, regard du chow, pattes qui bougent, prairies lointaines, espaces, mots, sons, frais, chauds, ballades, formes, neuves, vieilles, terreau.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire