L'antimonde
C’est par
d’honnêtes mensonges que sont partis tous ces récits. Minuscules. Tous aussi
invraisemblables les uns que les autres. Ils s’épanouissent dans cette
concoction longue de langue, infusion de plans loufoques, marinades de désirs,
tous en leurs lieux familiers revisités. Pile c’est faux, face j’invente. Des
histoires en leurs chemins de traverse. Qui racontent. Leurs voyages
solitaires. Leurs solutions singulières. En eaux troubles langage.
Joyeuse itinérance
!
SOMMAIRE
Présentation
L’antimonde
L’énigme
Transparitions
Tombée
d’établi
... "Sur le quai, des peintres se tenaient le long de l'eau. Tous
travaillaient à leurs toiles. Certains tableaux étaient posés à même le sol.
D'autres s'appuyaient les uns contre les autres comme des livres bien alignés.
Ils étaient offerts au regard, prêts à être vendus. Je marchai le long de la
berge. J'allai quitter le port quand je remarquai une femme dont je ne vis que
le dos. Elle peignait, elle aussi. Ses gestes avaient attiré mon attention. Ses
mouvements étaient entrecoupés de suspens, ils n’étaient pas d’un théâtralisme
exagéré, ils étaient plutôt discrets, voire furtifs. Mais ils semblaient le
fruit d’une concentration intense. Son regard paraissait saisir des formes, les
évidant de leur réalité pour venir les apposer ensuite sur la toile. Si bien
que le bateau n’était plus bateau mais seulement lignes troubles sur l’eau, les
mouettes devenaient traînées blanches et le phare était cette irruption de
matière soudaine. La main droite de la femme palpait la matière des couleurs de
la palette. Ses doigts les effleuraient, les pétrissaient et ils venaient
sculpter ensuite le relief par aplats gourmands.
Je
l’observai, elle plus que sa toile. L’après-midi s’écoula ainsi avec le
paysage du quai devant elle et puis les maisons du port et puis les toits et
par-dessus eux, les mouettes qui dessinaient leur envol. Je m’assis derrière
elle, goûtant le soleil de l’après-midi. Je sentais sa tiédeur sur mon visage.
En fin de journée, je m’étais même installée sur un petit siège pour mieux
observer le déroulement des événements. La toile me semblait lumineuse,
vivante, architecture inconnue. Je ne la regardais pas directement. Il me
suffisait de suivre les gestes de la femme devant moi. Ils me suggéraient la
scène comme si la femme peintre debout de dos devant moi, lui donnait
consistance progressive et que l’existence de la scène démarrait dès son bras
ou son avant-bras voire sa main, avant même que la peinture n’appose ses effets
sur la toile.
Je
ne sus ce qui me captivait tant. Assise là, je ne voyais plus passer
le temps. Il semblait avoir fait une boucle sur le chemin. J’étais là depuis
quelques siècles. J’avais retrouvé le chemin d’une scène disparue où
j’observais une vie sans âge se dérouler. Le temps m’avait ramenée en arrière.
Etait-ce moi, était-ce l’une de ces multiples vies qu’il m’aurait été donné
d’avoir ? J’aurais pu vivre là, dans ce port, dans cette ville. J’aurais
pu m’y adapter, y évoluer sans que rien alentour ne soit perturbé. Le cours du
monde n’aurait pas changé. Mais j’aurais pu être quelqu'un d'autre, menant une
autre vie, goûtant à d’autres aspects d’un temps qui était traversé par une
histoire que je ne connaissais pas."...
Beau récit de cette expérience d'immersion contemplative à laquelle on a tort de ne pas se prêter plus souvent.
RépondreSupprimerprendre le temps... peut-être l'une des choses importantes je n'ose dire urgente, tant le terme pourrait amener ailleurs...
Supprimerse prêter au temps et peut-être que le temps se prête aussi à soi, qui sait ?
Belle soirée à vous