Pourquoi raconter encore des histoires et comment les raconter, se demandait-il après avoir tant parlé de la sienne. Etait-ce une fin de parcours qu'il signalait, il se mit à rire en s'entendant le dire ainsi. Raconter des histoires. Se raconter des histoires. Fictions, fictions où la tristesse s'est muée en joie, à travers le filtre de qui la raconte, mais aussi de qui la reçoit. Ecrire mais quoi donc après avoir tant parlé ? Des flots de mots lui sont arrivés, fictions véridiques, griffures sur pages blanches, mais c'était de nuit, des mots hors cases, des mots hors sens habituels, des mots hors histoires particulières, des mots si près d'une source jusque là par lui inconnue, des mots devenus neufs, en des histoires devenues misères banales, en leurs écarts, leurs accrocs, leurs déceptions, mais oui, des mots tout neufs, en vadrouille, des mots devenus choses, en leurs chemins de traverse. Il en pétrissait la matière et le rythme, des nuits entières. Lorsqu'il quitta la pièce, en le voyant s'éloigner, j'ai pensé à ce film de Chaplin, où dansaient des petits pains comme des chaussons de danseuse. Et je crois bien que j'ai ri moi aussi, dans la joie et la légèreté des mots devenus choses, libres, si libres, dansant sur "l'écran blanc de leurs nuits noires".
