Pas le luxe de…
Il n’y pas, ici, le
luxe d’avoir des états d’âme. Avant, c’était des panières en osier. Améliorées,
elles sont maintenant en plastic, purs produits du pétrole. Les parasols, c’est
pour la note de couleurs.
Par
ici ! Par ici !
Bonne
balade !
Pas
chère !
On
va voir les poissons là-bas !!!
Chacun y va de sa
phrase d’accroche. Certains font du xe ôm,
quand ils ne sont pas sur l’eau. La pollution est en plus. Ici, au bord de
l’eau, l’air est frais. On oublie tout. Pas d’état d’âme, non. N’empêche, il y
a le sexe, aussi. Leurs regards le disent. L’un d’eux raconte comme ça
simplement à son copin :
Je
regarde les films x. Elle est triste ma copine. Elle est triste. Ça me fait du
bien !
Un autre éclate de
rire. Il lui demande soudain :
Ça
te prend comment ? Ça te rend la vie plus gaie ?
Ils rient tous de bon
cœur. Ils continuent de blaguer en
attendant le client.
Quand
je suis ici sur l’eau, ça flotte, ça me berce.
Moi,
c’est pareil. La belle famille, ouf un peu d’air. Ils me méprisent. J’ai pas
fait d’études.
L’eau est bleue, bleue,
pacifique. Ici, elle polit les aspérités
de la vie. C’est pourquoi ils n’ont pas d’états d’âme, une fois sur l’eau. Juste l’air du large. Dès qu’ils
auront les pieds sur la terre ferme, il faudra penser à nouveau. Penser.
Difficultés de l’existence. Angoisse. Argent. Argent. Face à ce bleu
paradisiaque qui donne envie de se fondre dans lui.
De l’autre côté de
l’île, les rochers s’entassent toujours. Ils semblaient plus petits ? Ou est-ce
un effet d’optique ? Eux, non plus, n’ont pas le luxe d’avoir des états
d’âme. Là, ici, maintenant, tout de suite, se faire pierre, herbe, ou eau de
mer, ou barque du pacifique. Et enfin, plus d’états d’âme. Le sexe, c’était
pour ne pas parler des besoins les plus primaires. Manger, boire, dormir, sans
parler du reste. Le sexe et son plaisir c’est déjà une vie pas seulement
végétative. Le sexe c’est déjà être homme, femme.
Qu’ont donc à faire de
tout ça, ces blocs de pierre entassés ? Inertes, immobiles, comme
suspendus dans leur chute, ils ont en leurs karmas de pierre, ce luxe infini de
ne plus être transis d’intranquillité
sur leur existence.