J'ai proposé à Eric, ce thème " la maison de l'autre", car écrire chez l'autre me l'a évoqué. Toile de fond où se trament des écritures peut-être neuves en passant par chez l'autre. Que déménage donc ce " chez l'autre" ?
"C'est ma maison" Texte de Eric Schulthess.
C’est ma maison depuis près de trente ans. Pourtant je n’y dors
pas. Je n’y ai jamais dormi malgré les semaines et les mois passés enfermé
là-dedans, assis à la fenêtre constellée d’insectes morts qui fait face à ce
pupitre à manettes où mes mains jamais ne trouvent le repos. Bruyante, cette
demeure. Agitée. Toute la sainte journée, ça tape ici. Ça claque, ça vibre et
ça couine. Le silence me manque.
Je ne parle presque à personne, perché là-haut. Parfois, je suis
bruyant. Je siffle fort. Surtout lorsque ma maison se retrouve soudain plongée
dans le noir. Dans un tube obscur qui peut être si long que je me demande si je
vais en sortir. Alors je siffle et ma maison siffle à l’entrée du gros tube. À
la sortie aussi. L’autre jour, des gamins ont fait mine de traverser sur mon
chemin. Ils se sont ravisés au dernier moment. Grâce au sifflet qui prévient du
danger. Parce que ma maison est très dangereuse. Voyageuse intrépide, elle se
lance sur la voie que je lui choisis à chaque fois. Il ne faut pas se mettre en
travers de sa route au risque de rejoindre dare-dare sa dernière demeure. Je me
souviens aussi que ma maison a reçu des pierres plusieurs fois. Lancées depuis
le ciel. Toc tac sur le toit. Elles ont frôlé la fenêtre. Je ne suis pas sorti
pour attraper les coupables. Impossible.
Depuis quelques années, je retrouve ma maison décorée le matin.
Pendant la nuit, des inconnus viennent lui donner quelques coups de peinture.
Un peu brouillon je trouve, le travail de ces artistes. Ils ne connaissent pas
bien l’orthographe. Sur la façade, juste en dessous de la fenêtre, ils ont
écrit Zen. Mais avec un C à la place du Z. Zen. Il me faut bien l’être un peu
dans cette maison où j’ai passé tant de Noëls et tant de vacances loin de mes
enfants depuis près de trente ans. Seul face à la fenêtre, le cul posé sur un
fauteuil en métal et le regard lancé sur ces rails qui défilent et qui claquent
et qui couinent.
Dans un an et demi, je
quitterai cette maison pour toujours. Expulsé d’office je serai. D’autres s’en
occuperont. C’est programmé. Plus besoin de siffler pour prévenir du danger puisqu’il
n’y aura plus de danger. Je rêve d’une autre maison bien sûr. Pas trop le temps
de la chercher mais elle commence à se dessiner dans mon imagination. Il y aura
de grands champs tout autour. Et puis des volets blancs, un portail blanc, du
lierre au mur et une cheminée haute. La fenêtre donnera sur des arbres et je
pourrai enfin la laisser ouverte aux quatre vents. Je sais qu’elle plaira à mes
enfants et à mes petits enfants. Ils y viendront en vacances et nous y
passerons tous les Noëls.
Merci pour ce bel échange et de votre accueil dans vos maisons respectives !
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