-Tu sais, je lui avais donné rendez-vous. Je lui avais bien
dit l’adresse, le nom du café. Eh ben figures-toi, elle m’a posé un lapin avec
deux grandes oreilles ! Elle n’est pas venue.
- As-tu fait attention au code ? Tu sais, il ne faut pas
faire n’importe quoi avec les codes…
-Je sais, je sais, j’ai choisi le café, pas trop
ostentatoire. Avec des coins discrets où l'on pouvait se parler. J’ai amené
des fleurs. Tu sais pas le genre « roses rouges », très balourd. J’ai
choisi des couleurs variées. Elles racontaient toutes des histoires de loin, pas trop
appuyées.
-Oui. Mais il n’y a pas qu’un seul code.
-Je sais, je sais. Code 1, code 2, code 3 même ! Je me
suis renseigné !
-Oui, mais as-tu pensé à f(t) ? t pouvant être t1, t2,
tn… Le code varie aussi avec le temps. Il suffit de pousser un peu trop
loin ou pas assez loin le curseur et pfuit… t’es fichu. Te voilà en
dehors de tout code. Avec un code dépareillé, obsolète ou trop post moderne.
Décalé. Complètement. Comprends-tu ?
-…
-Sans compter le premier degré, le deuxième degré, le nième
degré de chaque code et … f(t) toujours… Tout dépend de l'époque…
-Mmm. J’en ai eu marre, je suis rentré chez moi. J’ai
regardé les roses. Puis toutes leurs couleurs. J’ai imaginé sa tête, ses
expressions à travers chaque couleur. Je me suis raconté des histoires. Tout
seul. Face à moi-même. Toute l'après-midi. Elle n’était pas venue. J'étais
vraiment déçu.
- Et après qu'as tu donc fait ?
-J’étais si dépité, je me suis donné rendez-vous le
soir à vingt heures. Devant chez moi. Impossible de me rater.
-Ah bon ? Pourquoi vingt heures ?
-Je rentre tous les soirs à vingt heures. Et bien,
figures-toi, il n’y avait personne. Je ne me suis pas découragé, je me
suis redonné rendez-vous à minuit. Parce que je me suis dit : peut-être
que j’avais décidé de rentrer plus tard, ce soir-là. Alors je suis revenu
devant ma porte à minuit.
-Alors ?
-Il n’y avait encore personne ! Soudain je me suis dit :
Suis-je bête ! C’est l’heure où je suis au lit ! J’ai couru vers le
lit. Il n’y avait encore personne !
-Tu n’étais pas là où tu pensais être !
- On connait la chanson ! Je crois
que les êtres humains sont comme les pelures d’oignons. On enlève les
couches et au milieu il n’y a plus rien. On a beau vouloir être quelque part, on ne
s’y trouve pas et là où on est, on découvre qu’on n’est rien.
-C’est absurde !
-Oui c’est absurde. Mais j’aime les histoires absurdes. Ça
n’enlève rien au fait qu’au milieu il n’y a rien.
J’étais étonnée. Il riait, rouge de plaisir. Il m’avait dit
quelques semaines plus tôt, qu’il voulait se trouver, chercher ce qui n’allait
pas pour lui. Il ne faisait pas de rencontres sérieuses, tout était toujours
raté, était-ce à cause de lui ? Alors, il voulait savoir qui il était. Et
là, il était tout aise de n’avoir trouvé personne. Bien sûr, c’était rapide de
se demander s’il voulait vraiment se trouver. Mais à supposer qu’il se
cherchait vraiment et qu’il voulait vraiment se trouver, son histoire de
pelures d’oignons m’intriguait.
Je l'ai regardé. Il y avait une chose étrange que je
n’avais jamais remarquée. C'était tout à fait subtil et je ne l’avais jamais vu
jusqu'à présent. Il lui poussait sur le sommet du crâne deux prolongements translucides
ponctués d'yeux noirs comme deux graines de sésame grillé. Une tête d’escargot
progressivement avait envahi son visage. Elle avait deux antennes qui exploraient le
monde environnant. Elles s’étiraient à droite puis à gauche, et elles se rétractaient au
contact des objets.
J’ai secoué la tête. J’ai fermé les yeux. Puis je l’ai fixé
à nouveau. Il avait disparu.
Cette histoire de pelures d’oignons m’avait laissée
perplexe. Il n’y a donc rien au centre ? Ou bien tant que l’on vit, les
pelures se desquament et se transforment ? Soudain j'ai senti quelque
chose pousser au dessus de mon crâne.
j'ai lu et en même temps découvert! ... c'est très sympa !
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