mardi 1 novembre 2016

L'Antimonde" aux éditions Qazaq, Transparitions




L'antimonde



C’est par d’honnêtes mensonges que sont partis tous ces récits. Minuscules. Tous aussi invraisemblables les uns que les autres. Ils s’épanouissent dans cette concoction longue de langue, infusion de plans loufoques, marinades de désirs, tous en leurs lieux familiers revisités. Pile c’est faux, face j’invente. Des histoires en leurs chemins de traverse. Qui racontent. Leurs voyages solitaires. Leurs solutions singulières. En eaux troubles langage.
Joyeuse itinérance !

SOMMAIRE
Présentation
L’antimonde
L’énigme
La mangrove
Transparitions
Tombée d’établi


 Extrait de Transparitions

... "Sur le quai, des peintres se tenaient le long de l'eau. Tous travaillaient à leurs toiles. Certains tableaux étaient posés à même le sol. D'autres s'appuyaient les uns contre les autres comme des livres bien alignés. Ils étaient offerts au regard, prêts à être vendus. Je marchai le long de la berge. J'allai quitter le port quand je remarquai une femme dont je ne vis que le dos. Elle peignait, elle aussi. Ses gestes avaient attiré mon attention. Ses mouvements étaient entrecoupés de suspens, ils n’étaient pas d’un théâtralisme exagéré, ils étaient plutôt discrets, voire furtifs. Mais ils semblaient le fruit d’une concentration intense. Son regard paraissait saisir des formes, les évidant de leur réalité pour venir les apposer ensuite sur la toile. Si bien que le bateau n’était plus bateau mais seulement lignes troubles sur l’eau, les mouettes devenaient traînées blanches et le phare était cette irruption de matière soudaine. La main droite de la femme palpait la matière des couleurs de la palette. Ses doigts les effleuraient, les pétrissaient et ils venaient sculpter ensuite le relief par aplats gourmands.
Je l’observai, elle plus que sa toile. L’après-midi s’écoula ainsi avec le paysage du quai devant elle et puis les maisons du port et puis les toits et par-dessus eux, les mouettes qui dessinaient leur envol. Je m’assis derrière elle, goûtant le soleil de l’après-midi. Je sentais sa tiédeur sur mon visage. En fin de journée, je m’étais même installée sur un petit siège pour mieux observer le déroulement des événements. La toile me semblait lumineuse, vivante, architecture inconnue. Je ne la regardais pas directement. Il me suffisait de suivre les gestes de la femme devant moi. Ils me suggéraient la scène comme si la femme peintre debout de dos devant moi, lui donnait consistance progressive et que l’existence de la scène démarrait dès son bras ou son avant-bras voire sa main, avant même que la peinture n’appose ses effets sur la toile.
Je ne sus ce qui me captivait tant. Assise là, je ne voyais plus passer le temps. Il semblait avoir fait une boucle sur le chemin. J’étais là depuis quelques siècles. J’avais retrouvé le chemin d’une scène disparue où j’observais une vie sans âge se dérouler. Le temps m’avait ramenée en arrière. Etait-ce moi, était-ce l’une de ces multiples vies qu’il m’aurait été donné d’avoir ? J’aurais pu vivre là, dans ce port, dans cette ville. J’aurais pu m’y adapter, y évoluer sans que rien alentour ne soit perturbé. Le cours du monde n’aurait pas changé. Mais j’aurais pu être quelqu'un d'autre, menant une autre vie, goûtant à d’autres aspects d’un temps qui était traversé par une histoire que je ne connaissais pas."...






2 commentaires:

  1. Beau récit de cette expérience d'immersion contemplative à laquelle on a tort de ne pas se prêter plus souvent.

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    1. prendre le temps... peut-être l'une des choses importantes je n'ose dire urgente, tant le terme pourrait amener ailleurs...
      se prêter au temps et peut-être que le temps se prête aussi à soi, qui sait ?
      Belle soirée à vous

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