J’aime cette heure du matin,
fragile entre toutes. Lumière qui éclaircit la nuit. Entre les
feuilles. Et cette petite tasse chaude qui réchauffe le corps. Je m’étais
habituée au chat. A ses disparitions. A ses reculades. A ses réapparitions
aussi, en cette heure matinale. Il venait s’asseoir comme si de rien n’était,
au pied du coussin. Assoupi. Ronronnant. Il m’avait dit « Nénuphar
peut-être, à ma prochaine vie ! ». J’ai repensé à cet étrange distique. «
La rose est sans pourquoi [1] »
La rose vit, la rose est. Elle advient à ce qu’elle est. A cette heure de
l’aube. Où vient la plus matinale des perceptions. Rose, nénuphar, chat, unis. En cette lumière propice. Où tous les chats sont gris, rose, nénuphar. Etre
aux multiples moires. Ne connaissant ni l’unisson, ni le pas cadencé d’une identification,
d’une seule. Seulement flottants à la surface de la boue. Et se dispersant au matin.
Le chat vint à s’étirer. Observa
le margouillat. Voulait-il devenir chat, nénuphar, lui aussi ? Agrippé à
son pauvre mur blanc. Tendu comme une toile blanche. Vide.
Le chat revint vers moi et
engagea la conversation comme l’autre jour. Il me regarda et dit sans qu’aucun
son ne sorte de sa bouche.
-Pourquoi écris-tu comme ça, sans
cesse ?
Je lui répondis :
-Cela ne te regarde pas.
Puis après un moment de silence.
Ennuyée de ne pouvoir me retenir, je lâchai :
-Je vais te le dire quand même.
Je me lève et dès le matin, j’écris. Cela s’ordonne dans ma tête. Les mots
s’alignent. Les vieux mots de la veille. Puis ceux plus frais du matin. Je les
dispose, je les rafraîchis et leur donne vie nouvelle. J’essaie de donner mouvement
à ce qui est en moi. Ma page se construit. Mot à mot. Phrase à phrase. L’espace s’ordonne ainsi. Et quand la page est finie, mon monde s’est
réorganisé, reconstruit. Vivant pour la journée.
Je poursuivis. Ne m’adressant
plus au chat. Qui s’était enroulé sur lui-même. Endormi peut-être. Il ouvrait un
œil. Semblait me guetter puis se rendormait. Je me demandais alors si certaines
de mes pensées ne l’avaient pas assommé et envoyé au paradis des chats. Le
monde dans la main. Démiurge d’une feuille. Dérisoire. Inutile.
-Qu’est-ce que c’est que cette
histoire ! soupirait le chat à travers ses moustaches. Il fronçait les
sourcils. Plissait le front.
Oui, écrire me tient, le matin. Et les
lignes de la feuille comme celles de la main. Dures nervures jusque dans le
creux de la paume. Qui ne cesse d’écrire. Et tourne autour. De ce qui ne cesse
pas de ne pas s’écrire.
Quand je travaille, le temps me
fuit. Que devient alors le monde qui ne peut se réorganiser ? Le chat me
demande alors :
[2]
[2]
-Tu dois le faire sans
cesse ?
-Pour que cela tienne oui, c’est
sans cesse.
-Pourquoi donc les mots, les
phrases ne restent-elles pas stables ?
-Je ne sais pas moi-même. Quand
je n’ai plus rien à écrire, je me sens dans l’abandon. Perdue au monde. Il faut que les mots le tiennent. Le pétrissent. L'inventent.
Le soleil est haut maintenant. Il
est facile d’écrire, avec un chat pour interlocuteur. Sans lui parler. Mais moi,
j’écris comme je lui parle. En silence, en mon for intérieur. Sans pourquoi. Je pensais.
-Chat, alter-ego. Chat- hypnose, rose, nénuphar, nature. Chat souriant. Chat-margouillat…qui es-tu dans toutes ces réincarnations ?
Et certains qui pensent qu'il n'y a que chat noir ou chat blanc. Pauvre monde binaire où les bons sont d'un côté et les méchants de l'autre.
-Chat, alter-ego. Chat- hypnose, rose, nénuphar, nature. Chat souriant. Chat-margouillat…qui es-tu dans toutes ces réincarnations ?
Et certains qui pensent qu'il n'y a que chat noir ou chat blanc. Pauvre monde binaire où les bons sont d'un côté et les méchants de l'autre.
Le matin est bien engagé
maintenant. La nuit s'est laissée diluer par la lumière. Nuit/jour, hiver/été,
guerre/paix… Seule reste la voix Polyphème. Qui ne voit ni n’entend, si ce
n’est à rebours, à rebrousse-poil. Une voix qui tâtonne, qui erre, qui hurle la
douleur de la nuit et qui cherche l’aurore. Qui ne lutte contre « Personne » et qui crie par-delà la mer.
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Le chat semblait lire en moi. Et me dit
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Le chat semblait lire en moi. Et me dit
-Un peu de calme. Tu ne t’égares
pas un peu, là ?
Je lui répondis :
-L’autre jour, tu as voulu à tout
prix que je t’attende, que je te parle, que je te réponde. Tes questions
n’interrogent pas. Tu juges, tu jauges, me mettant à la question. Mais tu
n’interroges pas.
-Je ne comprends rien de ce que
tu dis, dit-il en souriant.
Je ne répondis rien, sachant que
c’était encore une de ses manœuvres
félines familières …
Je regrettais déjà la pensée
matinale. Pensée de l’aube, à bout portant sur les choses. Qui disparaît avec
la lumière du jour. Soleil oblique sur les feuilles. Vert printemps. Dilué de
jaune de Naples. Blanc titane. Mimant les grains de la lumière.
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