C’était l’ouverture de la pêche. Le chat s’est arrêté sur les berges. Il y a des trous d’eau par ici. Noirs, profonds, pleins de remous. Certains les réservent, ils ont leurs habitudes, viennent tôt le matin. Et sur une barque, s’installent. Attendant le frétillement jouissif du bouchon qui s’enfonce dans l’eau. Joies simples. Nez au vent. Pêcheur au soleil. Se faisant chat, poisson. Et comme il avait gardé ses moustaches, le voilà devenu silure, poisson-chat. Immangeable. Hirsute d’arêtes.
Où commence le
poisson-chat, est-ce dans le chat ou dans le poisson que déjà ses traits
s’habillent ? Le chat méditait tout cela. Regardant son compère poisson-chat. Je le surpris dans sa réflexion.
Et entamai une conversation. Large. Non inquisitrice. Qui
préservait ses silences. Ménageait ses espaces. Tout autour de lui. De tout et de rien.
-Tu fais aussi
l’ouverture de la pêche ? lui demandais-je.
-Parfois…
-Tu t'intéresses aux pêcheurs
ou aux poissons ?
-Je m’intéresse à l’âme
des choses. Les choses ont une
âme. Souvent oubliée.
-Que penses-tu des poisson-chats. Ont-ils deux âmes ? Une de poisson et une de
chat ?
-Nous avons sans doute,
tous deux âmes. Mais tu sais, j’ai découvert à ma grande surprise, une chose
étrange. Quand je parle chat, c’est un poisson qui parle de ma bouche de chat.
Tu vois ce que je veux dire ?
-Non...
-Ce n'est pas grave.
Le temps avait passé. Je le retrouvai méditant devant son trou d'eau. Le matin humide avait coulé sur les herbes de la rive. La conversation reprit. Comme si nous ne nous étions pas quittés. Conversation ininterrompue. Bulles. A la surface de la rivière.
-Ah je vois ! C’est comme si tu parlais la langue des poissons mais par une bouche de chat ? C’est ça ?
-...
- Ou plus précisément : comme si tu
parlais poisson mais dans la langue des chats et dans une position de vie de chat.
C’est ça ?
(2)
(2)
Le chat se nettoyait les poils. Se lissait la moustache. Il semblait absorbé. Puisant l'eau de la rivière de sa patte en cuillère. Se lavait. Brume. Dans le tréfonds de l'âme. Il rajouta après un temps de réflexion :
-J'observe souvent le poisson-chat, par ici. J’ai le sentiment d'avoir parfois oublié la langue des
poissons.
Je l'écoutais.
Je l'écoutais.
-Tu dois avoir un fond de base, acquis dans une vie antérieure où tu as été poisson.
-Peu importe. Ce ne sont que des détails. L’important... ah, tiens, je ne sais plus ce qui est important.
Il s'éloigna de la berge. Observa le fond de l'eau. Je l'observais aussi et le trouvai étrange. Dans cette réflexion qui l'interrogeait sur les apparences. Je lui demandai alors :
-Cela doit être une expérience...comment dire...
Il m'arrêta comme poursuivant sa pensée:
Il s'éloigna de la berge. Observa le fond de l'eau. Je l'observais aussi et le trouvai étrange. Dans cette réflexion qui l'interrogeait sur les apparences. Je lui demandai alors :
-Cela doit être une expérience...comment dire...
Il m'arrêta comme poursuivant sa pensée:
-Parfois, j’ai un regard de poisson, des perceptions de poisson, une diatribe
de poisson. Je deviens bavard, bavard. Je fais des bulles partout. Cela m’insupporte
moi-même. Tous ces tics de poisson. Alors je les évacue ! Je les écris. Et
Puis Hop ! Archivés ! Dans la poubelle.
-Ah, on peut archiver dans une poubelle ? Intéressant...
-...
-Mais ta vie de chat, que devient-elle ?
-...
-Mais ta vie de chat, que devient-elle ?
- Il faut
pour cela ne pas trop s’installer dans un état, tu vois. Se prendre vraiment
pour un chat ou pour un poisson par exemple.
-Ce ne sont que des
noms finalement ?
-Oui des noms qui te
désignent, qui t’habillent. Leur parcours se passe en un éclair. Puis tout disparaît.
-C’est étrange, ce
n’est pas triste quand tu me parles comme cela, de la vie, de la mort et de ses
cycles.
-On me dit que je
raconte des histoires.
-Oui, comme des
histoires qu’on se raconte avant de s’endormir.
-Mais à cette
différence près. Toutes ces histoires rendent les choses plus légères. La matière se métamorphose. Avec le cycle
du carbone. Elle prend des noms différents. Et puis
voilà. Un peu d’eau. Et tout continue…
-Tu ne te consoles pas
en disant tout cela ?
-Peu importe. La
vérité, c’est la promenade des molécules. Et elles nous emportent avec elles.
-Pourquoi as-tu besoin
de parler des molécules ? C’est pour faire plus
scientifique ? Mais tu sais bien, cela n’a rien à voir avec la chimie. Homme, chat, poisson, oiseau... Autour d'un trou d'eau.
De ce côté de la terre.
(3)
De ce côté de la terre.
(3)
(4)
La lumière était revenue. J’ai pensé à cette nouvelle de Maupassant, d’une bataille autour d’un trou d’eau. Poissonneux. Trop poissonneux. Et cela avait fini au tribunal pour mort d’homme. On l’avait noyé. Pour un trou. Et cette pauvre phrase qui expliquait. « Je l'aurai repêché m'sieur le président…Voilà les faits tels que je les jure. Je suis innocent, sur l'honneur." Les témoins ayant déposé dans le même sens, le prévenu fut acquitté. ( 5)
La lumière était revenue. J’ai pensé à cette nouvelle de Maupassant, d’une bataille autour d’un trou d’eau. Poissonneux. Trop poissonneux. Et cela avait fini au tribunal pour mort d’homme. On l’avait noyé. Pour un trou. Et cette pauvre phrase qui expliquait. « Je l'aurai repêché m'sieur le président…Voilà les faits tels que je les jure. Je suis innocent, sur l'honneur." Les témoins ayant déposé dans le même sens, le prévenu fut acquitté. ( 5)
Le chat me devina et me
dit :
-Je suis chat comme tu
es questionneuse. Nous nous accrochons tous à nos pauvres trous d’eau.
(1) Hiroshige, Banc de poissons
(2) Hiroshige, Chat
(3)Hiroshige, Ramassage de coquillage à Suzaki. Série " 36 vues de la capitale de l'est"
(4) Monet, Bain à la grenouillère.
(5). Maupasant, Le trou, 9 novembre 1886.
(2) Hiroshige, Chat
(3)Hiroshige, Ramassage de coquillage à Suzaki. Série " 36 vues de la capitale de l'est"
(4) Monet, Bain à la grenouillère.
(5). Maupasant, Le trou, 9 novembre 1886.
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